Des manifestations de jeunes contre l’Onu, une lettre d’ONG locales demandant le départ immédiat de la Monusco (Mission de l’Onu pour la stabilisation du Congo), campagne sur les réseaux sociaux… Que se passe-t-il?

L’attention a été attirée cette semaine par des émeutes à Butembo. En cause: un camion transportant dix tonnes de vivres pour le PAM (Programme alimentaire mondial, agence de l’Onu) de Goma à Bunia, à destination de déplacés.

Mardi 30 mars au soir, quand le véhicule – un camion privé, sous contrat avec le PAM pour ce transport – arrive à l’entrée de la ville, il crève un pneu. Immédiatement, quelques hommes qui voyageaient à son bord prennent la fuite, ce qui suscite les soupçons de jeunes gens de la ville. Ils exigent de fouiller le camion. De peur que le chargement soit pillé, la police est appelée; elle montera la garde toute la nuit, elle-même encerclée par de nombreux jeunes gens de Butembo, qui assurent que le camion transporte des armes.

Il faut se rappeler que cette région vit dans la peur depuis plusieurs années, avec d’incessantes attaques meurtrières attribuées aux islamistes des ADF (mouvement armée ougandais, rallié à l’Etat islamique), parfois avec l’appui de militaires congolais.

Des haricots et un uniforme

Le mercredi 31 mars, le maire de Butembo donne l’ordre d’amener le camion à l’hôtel de ville. La police escorte le véhicule jusque-là, suivie de dizaines de motards hostiles. Le camion est fouillé publiquement. Il contient des dizaines de sacs de haricots – et deux sacs dans lesquels on trouve des vêtements militaires (apparemment un pull et un pantalon de camouflage).

Colère de la foule, qui attaque le camion et les policiers. Ceux-ci tirent; il y aurait plusieurs blessés – une source parle d’un mort. Tout le centre de Butembo a été bloqué durant l’après-midi. Le calme est ensuite revenu et, selon une de nos sources à Butembo, la ville était calme ce vendredi.

Selon la police de Butembo, le sac contenant des vêtements militaires appartenait à une épouse de militaire muté de Butembo, qui allait rejoindre son mari à Komanda. Le PAM a précisé que c’était le chauffeur du camion qui avait décidé d’offrir un transport à la femme de militaire et que ce n’était pas la politique du PAM. On peut dès lors supposer que les hommes ayant fui le véhicule quand il a crevé un pneu, mardi soir, étaient des passagers clandestins ou illégaux du chauffeur, une pratique très courante au Congo.

Mise en demeure d’ONG

L’incident est révélateur de la panique qui gagne les régions martyres de l’est du Congo (Ituri et Kivus). Ainsi, deux jours auparavant, le 29 mars, un regroupement d’associations de Butembo-Lubero-Beni (triangle affecté par les tueries imputées aux ADF) a envoyé une lettre à la nouvelle représentante spéciale du Secrétaire général de l’Onu pour le Congo, la Guinéenne Bintou Keïta – avec copie aux autorités congolaises, dont le président Félix Tshisekedi – pour lui demander le départ des casques bleus de la Monusco.

Rappelant la longue présence de ceux-ci dans la région, les signataires de la lettre notent que sur six représentants successifs du Secrétaire général de l’Onu, « seul le passage de (NDLR: l’Allemand, très expérimenté) Martin Kobler (NDLR: 2013-2015) a semblé apporter une relative accalmie avec l’engagement de la Brigade d’intervention. Aujourd’hui, les massacres ont même redoublé d’intensité ».

Selon les signataires de la lettre, « la population finit par se convaincre chaque jour davantage de la complicité de la Monusco dans un complot contre les populations de Beni (NDLR: Nord-Kivu) et d’Irumu (NDLR: Ituri, dont ne figure aucun représentant parmi les signataires) et la logique de prédation qui a remplacé la mission de pacification ».

Soulignant que ces deux territoires « se vident de leurs occupants », massacrés ou déplacés, les associations signataires demandent « avec insistance à la Monusco de quitter l’est de notre pays et cela dès réception de la présente lettre ». Si cet « ultimatum » n’est pas respecté, un sit-in sera maintenu devant les locaux onusiens jusqu’au départ des casques bleus et le « rétablissement de la paix ».

Cela « vaut également avertissement pour toutes les ONG internationales qui contribuent au pillage de nos richesses et facilitent l’action des génocidaires ADF-Nalu de Béni et des groupes armés à l’est » en général, ajoute la lettre.

Campagne sur les réseaux sociaux

Cela fait longtemps que les populations de l’est du Congo se plaignent du peu de succès des casques bleus pour les protéger des attaques de multiples mouvements armés qui pullulent dans cette partie du pays. Le mandat des soldats onusiens prévoit qu’ils appuient l’armée congolaise dans cette tâche de protection, mais le tandem est resté bien impuissant à ramener la sécurité.

A cela s’ajoute, depuis quelque temps, note une de nos sources à Kinshasa généralement bien informée, une campagne « coordonnée » contre l’Onu sur les réseaux sociaux. L’incident du camion PAM à Butembo a ainsi été largement présenté comme une « preuve » que l’Onu transporte des armes pour assassiner des Congolais.

Sous la présidence de Joseph Kabila – notoirement désireux d’obtenir le départ de la Monusco, notamment pour éviter la présence de témoins extérieurs – il avait été noté, au sein du contingent Onu, que des protestations populaires violentes contre les casques bleus étaient orchestrées par des militaires congolais. D’aucuns soupçonnent donc aujourd’hui une tentative de manipulation mise sur pied par des kabilistes, favorables à une détérioration de la situation à l’est afin de démontrer l’incapacité de Félix Tshisekedi à faire mieux que son prédécesseur, ex-mentor et aujourd’hui rival politique pour les élections présidentielles de 2023.

La libre Afrique

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