Qui sont vraiment ces militants du PPRD qui se font appeler « Jeunes Leaders » et qui se disent prêts à en découdre avec les manifestants anti-Kabila dans les églises ?

Bérets rouges vissés sur la tête, chemisette en pagne à l’effigie de Joseph Kabila, propos ouvertement hostiles à l’Église catholique… Les « Jeunes Leaders » du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), la principale formation politique de la Majorité présidentielle (MP), ne se cachent pas derrière le politiquement correct. Au contraire. Ils montrent leurs muscles, prêts à tout – en tout cas dans leur langage – pour « défendre le régime » de Kinshasa.

Dans une vidéo interne de cette structure qui se revendique « cellule de base » de la Ligue des jeunes du PPRD, on peut voir à quoi ressemble une réunion des « Jeunes Leaders », à la veille d’une manifestation anti-Kabila. La séquence a été filmée le 24 février à Kinshasa, 24 heures avant la troisième marche des chrétiens réclamant, de la part du pouvoir en place, l’application intégrale de l’accord de la Saint-Sylvestre. Ce compromis politique, conclu fin décembre 2016, avait, entre autres, prévu une gestion consensuelle du pays pendant la période électorale et une décrispation du climat politique par la libération des détenus politiques et le retour des opposants contraints à l’exil.

« Soldats politiques du Raïs »

Accusant ceux qui manifestent de s’inscrire dans une logique insurrectionnelle, les « Jeunes Leaders » se posent en « soldats politiques du Raïs ». Et se promettent alors d’investir des lieux de culte pour empêcher la marche des chrétiens. Des prêtres qui se placent devant le cortège des manifestants, sont taxés d’« imposteurs ». « Il faut les arrêter et les emmener à la police », clame Popol Badjegate, coordonnateur national des activités des « Jeunes Leaders », dans cette vidéo dont Jeune Afrique s’est procuré une copie.

« N’ayez peur de rien ! Si vous mourez ce jour-là, vous irez au paradis ! », poursuit Popol Badjegate, tel un prédicateur, promettant un avenir meilleur dans l’au-delà à ses ouailles. L’assistance en rigole, avant d’applaudir l’orateur.

Jeunes Leaders, une « structure fantoche » ?

Le même 24 février, un groupe de ces « Jeunes Leaders » investit le parvis de la cathédrale Notre-Dame du Congo, à La Gombe, dans le centre-ville de Kinshasa. « Nous étions là pour participer à la messe de 17 heures, explique leur chef, Papy Pungu. Malheureusement, le culte a été annulé. Des discussions s’en étaient suivies avec des prêtres et la hiérarchie de notre parti pour nous prier de ne pas passer la nuit là-bas, comme nous l’avions prévu ».

Les Jeunes Leaders sont des extrémistes qui doivent s’assumer comme tels

Au sein du PPRD et de la Majorité présidentielle (MP), la méthode des Jeunes Leaders ne fait pas l’unanimité. « C’est une structure fantoche, qui dessert le président Joseph Kabila, dénonce Adam Chalwe Munkutu, coordonnateur chargé du suivi des questions de la jeunesse au sein de la coalition au pouvoir. S’attaquer à l’Église catholique, qui dispose de paroisses partout dans l’arrière-pays, c’est tout ignorer de l’électorat de Joseph Kabila. Car parmi ceux qui ont voté massivement pour le président de la République en 2006 et en 2011 se comptent aussi les fidèles catholiques de ces villages lointains. »

Pour Adam Chalwe, « les Jeunes Leaders n’engagent pas la jeunesse du PPRD : ce sont des extrémistes du régime qui doivent s’assumer comme tels ». Ce cadre du parti de Kabila, proche d’Aubin Minaku – président de l’Assemblée nationale et secrétaire général de la MP –, ne reconnaît pas non plus le statut de « cellule de base du PPRD » à ces « soldats politiques » de Kabila qui revendiquent des membres à travers le pays. D’autant que les statuts du parti n’autorisent pas à une cellule de base d’avoir une assise nationale, selon lui.

Jeunes Leaders ou jeunes encombrants ?

Abondant dans le même sens, Patrick Nkanga, le chef de la Ligue des jeunes du PPRD, appelle « toutes les structures de base œuvrant dans la jeunesse [du parti], et ce au niveau national, de circonscrire leurs activités dans le cadre des prérogatives [qui] leur [sont] dévolues et des aires géographiques où elles sont censées évoluer ».

« Le siège national de la Ligue des jeunes [du PPRD] sera désormais réservé exclusivement aux réunions stratégiques du comité national et de ses services connexes », ajoute Patrick Nkanga dans un communiqué rendu public au lendemain de la marche des chrétiens du 25 février. Une façon, pour celui qui est également l’un des conseillers politiques du président Kabila, de prendre ses distances avec les « Jeunes Leaders » dont le chef de file, Papy Pungu, occupe actuellement le poste de premier vice-président, en charge notamment de la stratégie au sein de la Ligue des jeunes du PPRD.

En 2015, nous avons compris que si nous laissions faire, ce pouvoir allait partir

Début 2015, c’est en effet ce dernier qui a initié le mouvement « Jeunes Leaders » au sein du PPRD. « C’était pour répondre aux événements du 19 janvier » de cette année-là, raconte Papy Pungu. Ce jour-là, des manifestants étaient descendus dans la rue pour protester contre une réforme électorale qui entendait conditionner la tenue de la présidentielle à l’organisation du recensement de la population sur l’ensemble du territoire. Trois jours d’émeutes plus tard, le pouvoir avait rétro-pédalé.

« Nous avons alors compris que si nous, les jeunes, nous laissions faire, ce pouvoir allait partir et que le rêve à la burkinabè, ou du printemps arabe, des détracteurs du régime allait se réaliser », explique Papy Pungu pour justifier la naissance des « Jeunes Leaders ». Il décide alors de « recruter » d’autres jeunes autour de lui. « Des intellectuels, pour la plupart », s’empresse-t-il se souligner.

« Aujourd’hui, nous faisons tous partie de la jeunesse du parti, il n’est pas question que je demande une quelconque autorisation avant de mettre en place une stratégie », maintient ce quadragénaire au discours radical, administrateur à l’Office national d’identification de la population (Onip).

Mi-septembre 2015, Human Rights Watch accusait « des responsables de la sécurité et du PPRD [d’avoir] recruté plus de 100 jeunes pour attaquer [les manifestants de l’opposition]. » Des fauteurs de troubles avaient reconnu avoir été payés environ 65 dollars (57 euros) chacun, selon l’ONG, dans un rapport publié moins d’un mois après l’incident.

Jeunes Leaders dans les pas des Imbonerakure ?

En août 2017, ces « Jeunes Leaders » avaient également fait parler d’eux lorsqu’ils sont allés représenter la Ligue des jeunes du PPRD au congrès des Imbonerakure, la jeunesse controversée du Conseil national de défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). Cette structure burundaise est soupçonnée d’avoir servi d’instrument de répression, aux côtés des forces de l’ordre et de sécurité pendant la contestation contre le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, en 2015.

« Nous n’avons rien à voir avec les Imbonerakure, se défend aujourd’hui Papy Pungu. Nos militants n’avaient séjourné que deux jours au Burundi. Ce n’est pas en 48 heures qu’ils auraient pu apprendre les méthodes des Imbonerakure. » Et de rappeler : « À l’instar de la jeunesse du parti Russie unie de Vladimir Poutine, celle du Parti congolais du travail (PCT, au pouvoir au Congo-Brazzaville), ou celle de la Zanu-PF au Zimbabwe, les Jeunes Leaders du PPRD s’inscrivent dans une optique de résistance contre la logique insurrectionnelle. »

À ceux qui le soupçonnent de vouloir constituer une milice au service du pouvoir, Papy Pungu rétorque que « c’est en tant que bons citoyens que les Jeunes Leaders peuvent, comme dans tous les pays du monde, aider la police à mettre hors d’état de nuire ceux qui veulent troubler l’ordre public ».

Quel avenir pour les Jeunes Leaders ?

Au moment où le PPRD se restructure, qu’adviendra-t-il de cette structure controversée ? Longtemps soutenus, voire portés, par l’ex-secrétaire général Henri Mova Sakanyi, désormais vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur, les « Jeunes Leaders » se tournent désormais vers Emmanuel Ramazani Shadary, le nouveau secrétaire permanent du parti. Et celui qu’on surnomme « Coup sur coup » ne se montre pas pressé de prendre une décision sur l’avenir de ce mouvement.

C’est le triomphe de la ligne radicale

« Nous allons prendre le temps de vérifier toutes les accusations portées contre les Jeunes Leaders avant de décider », promet toutefois Ramazani Shadary. Mais, selon lui, « il est avant tout nécessaire que la politique ne se pratique plus dans nos lieux de culte. C’est dangereux de mobiliser les partisans de l’opposition pour qu’ils aillent dans des églises à des fins politiques. Nous sommes tous des catholiques, nous avons aussi notre place dans les messes ».

Un discours que ne peuvent qu’applaudir des deux mains les « Jeunes Leaders ». Ce qui désole un haut cadre du parti au pouvoir : « C’est le triomphe de la ligne radicale. »

Jeune Afrique / MCN

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