Comment concilier le satisfecit du Secrétaire d’Etat adjoint Tibor Nagy qui parle de meilleures élections de l’histoire de la RDC et les sanctions infligées aux dirigeants de la CENI? Kinshasa s’attend à accueillir, du 13 au 15 mars prochain, un émissaire de haut rang de l’administration Trump. Secrétaire d’État adjoint des États-Unis pour les affaires africaines, Tibor Nagy a inscrit la République démocratique du Congo sur son agenda dans une mission qui le fera sillonner les pays des Grands Lacs et de l’Afrique centrale.
Dans les différents Etats souverains (Ouganda, Rwanda, RDC, Cameroun…) où se rend l’émissaire américain, le pays de l’Oncle Sam se pointe en gendarmes, usant de menaces à l’égard de ceux qu’il accuse des violations des droits de l’homme et encensant ceux qu’il considère comme ses bons élèves, quoiqu’ils piétinent certaines règles démocratiques. C’est du moins ce qu’on peut retenir des confidences de Tibor Nagy, à la veille de son périple en Afrique. S’attendant impatiemment à rencontrer Félix Tshisekedi, le tout frais Président congolais issu des élections du 30 décembre 2018, le missi dominici de Donald Trump a défrayé la chronique en déclarant à nos confrères de »Jeune Afrique » que la RDC a organisé la meilleure de toutes les élections de son histoire. Une déclaration qui contraste avec l’avalanche de sanctions que le pays de l’Oncle Sam inflige aux artisans même de ce processus électoral.
QUAND WASHINGTON SOUFFLE LE CHAUD ET LE FROID
Il y a quelques semaines en effet, le Département d’Etat américain a publié des mesures restrictives à l’égard de quelques cadres congolais, en l’occurrence le président et le Vice -président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Corneille Nangaa et Norbert Basengezi, ainsi que du numéro un de la Cour Constitutionnelle, Benoît Lwamba, qui ont tous validé l’élection de Félix-Antoine Tshisekedi à la présidentielle du 30 décembre 2018, augurant ainsi l’alternance au sommet de l’Etat, à travers une passation pacifique et civilisée du pouvoir.
Aux yeux des dirigeants américains, ces sanctions infligées aux artisans du processus électoral en cours, qui se seraient »compromis par leur interférence dans le processus électoral », s’avèrent opportunes. La liste même des cibles pourrait bientôt s’élargir, promet le Secrétaire d’État adjoint des États-Unis pour les affaires africaines. « Nous avons dit, tout au long du processus électoral, que ceux qui interfèrent dans le processus démocratique, ou provoquaient des violences, seraient passibles de sanctions des États-Unis. Certains s’en sont rendus coupables. Par conséquent, les États-Unis étaient fondés à appliquer des sanctions… Je ne donnerai pas dans les détails concernant chaque individu. Mais chaque situation a été étudiée avec beaucoup d’attention… Ne soyez donc pas surpris si d’autres noms sortent dans un futur proche », martèle-t-il.
LES MEILLEURES ELECTIONS DE L’HISTOIRE
Paradoxalement, Tibor Nagy se félicite de la qualité même de ces élections, organisées par le Gouvernement de Joseph Kabila et les animateurs des institutions décriés, qui ont pourtant permis à l’opposant Félix Tshisekedi de briguer le fauteuil présidentiel et d’y accéder. « Pour moi, dit-il, c’est très cohérent. Des millions de Congolais se sont rendus aux urnes de bonne foi. La majorité des candidats eux-mêmes a participé aux élections de bonne foi, en dépit de ce que disent les analystes… C’est probablement la meilleure (élection) que le Congo ait jamais connu jusqu’à maintenant… Si vous regardez les élections comme un événement isolé, bien sûr, vous lui trouverez d’importants défauts. Mais comme partie d’un processus, elles sont très positives. Je pense que c’est une nouvelle ère pour la RDC. Les Congolais auxquels j’ai parlé sont, de manière intéressante, très optimistes ».
APRES LEUR SATISFECIT, WASHINGTON DEVRAIT PLUTOT SALUER LE TRAVAIL DE LA CENI
De ces déclarations, les contradictions des autorités américaines sautent aux yeux. Comment donc peut-on à la fois saluer la validité d’un processus électoral et fustiger les différents animateurs qui ont concouru à sa mise en œuvre ? Comment peut-on décrier le tripatouillage électoral et valider pourtant le verdict des urnes ? En somme, Washington joue un double jeu, en usant d’un double langage, où il souffle le chaud et le froid, s’attaquant ouvertement au régime sortant et béatifiant ouvertement le pouvoir entrant. En particulier, les sanctions à l’endroit du staff dirigeant de la CENI paraissent d’autant plus inexplicables que l’administration Trump va même plus loin que les capitales européennes, en qualifiant les élections du 30 décembre 2018 de meilleures de l’histoire de la RDC. Washington, estiment nombre d’observateurs, gagnerait en cohérence en saluant le travail réalisé par les dirigeants de la CENI.
Les mêmes observateurs relèvent qu’à l’échelle sous-régionale, les Etats-Unis sont paradoxalement plus regardant sur les dossiers de la RDC qui, bon an, mal an, avance sur le long chemin vers la démocratie, qu’ils ne les sont envers des pays voisins (Rwanda, Ouganda…) où l’alternance n’est même pas à l’ordre du jour. Comme si le Département d’Etat était pressé de tourner la page Kabila pour revoir certains contrats juteux, notamment dans les secteurs miniers, c’est avec beaucoup d’enthousiasme que le Secrétaire d’État adjoint des États-Unis attend rencontrer le Président Félix Tshisekedi.
Tibor Nagy espère, sans doute, une certaine souplesse de la part du nouvel élu, regrettant probablement que Joseph Kabila se soit plus ouvert à la Chine, ce géant asiatique qui s’est investi dans la reconstruction du pays, au moment où l’Occident multipliait des conditionnalités à l’aide. « J’espère (rencontrer FélixTshisekedi). Je ne l’ai encore jamais rencontré, même si notre ambassadeur l’a fait. J’ai hâte d’échanger avec lui, d’en apprendre plus sur ses projets, sa vision pour son pays… Souvent, quand un nouveau gouvernement arrive, il passe en revue les législations de ce genre pour voir s’il les change. Cela a été le cas au Nigeria dans le pétrole. Nous verrons donc ce qui advient. Mais notre politique générale est de s’assurer que les compagnies américaines aient les mêmes opportunités que les autres », a lâché le Secrétaire d’État adjoint des États-Unis pour les affaires africaines.
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