Écroué mercredi, le directeur de cabinet de Félix Tshisekedi est soupçonné par la justice congolaise de malversations dans le cadre de la gestion du « programme des 100 jours » du chef de l’Etat congolais. Ses partisans dénoncent une arrestation arbitraire, une humiliation pour leur leader et une manipulation politique pour l’empêcher de se présenter à la prochaine présidentielle. Que sait-on sur ce dossier ?
Vital Kamerhe faisait office d’ordonnateur des dépenses sur le programme des 100 jours du chef de l’Etat pendant ses premiers mois de mise en œuvre, avant la mise en place du gouvernement de coalition. Et pour la société civile, il n’est que légitime que la justice lui demande de répondre à des questions.
Le « programme des 100 jours », des grands travaux à la détention de Vital Kamerhe
Samedi 2 mars 2019, Félix Tshisekedi présente en grande pompe, à Kinshasa, son « Programme d’urgence pour les 100 premiers jours ».
Ce jour-là, certains membres du gouvernement proches de l’ancien président Joseph Kabila sont même hués par les milliers de militants de l’UDPS, le parti de Tshisekedi, qui avaient fait le déplacement. Il leur est reproché de n’avoir pas fait la même chose quand ils étaient aux affaires.
497 millions de dollars
Les membres du corps diplomatique, les chefs des institutions nationales, les ministres sont présents. L’espoir est grand. Les travaux sont lancés tambour battant dans plusieurs villes dont Kinshasa, Bukavu et Kananga. Divers secteurs sont concernés dont l’accès à l’électricité et à l’eau potable, les infrastructures sanitaires et scolaires ainsi que les routes. À Kinshasa, par exemple, des chantiers des sauts-de-mouton, censés lutter contre les embouteillages et fluidifier la circulation, sont lancés.
Un budget de 497 millions de dollars est annoncé. Mais le problème est que le dernier gouvernement de Joseph Kabila est déclaré démissionnaire et donc tout est géré provisoirement à partir de la présidence de la République. Quelques mois plus tard, les premiers soupçons de corruption tombent. Ils concernent d’abord l’opacité de la procédure de passation des marchés, dont un nombre important s’était déroulé de gré à gré. Jour après jour, les chantiers piétinent et les accusations de détournements de fonds se multiplient.
Instruction judiciaire en février 2020
Il faut attendre le 8 février 2020 pour qu’une instruction judiciaire soit ouverte pour enquêter sur l’exécution des travaux publics inscrits dans ce programme d’urgence. Les chefs des entreprises de construction comme Office de route, Safricas et Samibo ont déjà été interpellés et écroués. Certains sont sortis, bénéficiant d’une liberté provisoire.
Les proches du directeur de cabinet confirment que Vital Kamerhe a été interrogé durant plus de cinq heures d’auditions sur différents dossiers. Et si le magistrat instructeur a décidé d’écrouer le directeur de cabinet, c’est à cause notamment des écarts entre des montants annoncés et payés dans le cadre de passation de marchés publics. Il y aurait aussi des fautes de gestion.
La justice soupçonne l’existence d’un système de « rétro-commissions ». Dans la livraison des logements sociaux préfabriqués, par exemple, Vital Kamerhe est soupçonné d’avoir surfacturé. Sous Joseph Kabila, le prix de 900 logements était de quelque 26 millions de dollars. Sous la houlette du directeur de cabinet, l’administration Tshisekedi avait décidé de commander 600 logements supplémentaires pour un montant d’environ 57 Millions, à la même société Samibo Congo Sarl du Libanais Jammal Samih.
Cet entrepreneur n’aurait pas su justifier l’utilisation de près de la moitié des sommes versées par l’État sur son compte à la RawBank. Cette somme avait pourtant été retirée par le Libanais, son paiement validé par la direction de la banque qui aurait assuré avoir reçu le feu vert de Vital Kamerhe.
Dans l’audition de mercredi, il a été aussi question des sauts de mouton dont l’arrêt des travaux avait provoqué des embouteillages monstres à Kinshasa. Le patron de la société Safricas Congo, David Blattner, avait lui aussi été interpellé sur ce même dossier. A cela s’ajoute des soupçons sur un marché de produits pharmaceutiques, des infrastructures en province, notamment au Sud-Kivu et au Kasaï Central.
« Il y a un acharnement politique qui ne dit pas son nom ! C’est une humiliation, une cabale bien ficelée, bien montée pour l’humilier. Vital Kamerhe est disposé à collaborer avec la justice congolaise parce que l’un de ses combats est de faire de son pays un Etat de droit. […] Nous sollicitons sa mise en liberté sans conditions. » Maître John Kaboto
Tensions politiques
Dans l’entourage de Félix Tshisekedi, on assure qu’il n’y a pas de complot, mais une volonté de faire toute la lumière sur la gestion de ces fonds. D’autres personnalités et institutions ont eu à répondre aux questions de la justice ces derniers jours ou semaines, anciens ministres, banque centrale et même le coordonnateur du programme des 100 jours à la présidence, sans pour autant, pour l’instant en tout cas, faire l’objet d’arrestation.
Mais dans les rangs de l’UNC, on estime que le président Tshisekedi a forcément donné son accord à l’arrestation de son directeur de cabinet. Dès lors, des proches de Vital Kamerhe s’interrogent sur la volonté réelle du chef de l’Etat de voir se maintenir la coalition présidentielle.
Ces interrogations inquiètent dans les rangs de l’UDPS, le parti du président, où l’on souhaiterait voir simplement écartée une « personnalité devenue gênante par sa gestion », sans perdre un parti allié. Un membre du cabinet présidentiel rappelle les tensions de ces derniers mois autour de cette question, entre les « clans » Kamerhe et Tshisekedi qui rendaient l’atmosphère « invivable » au Palais de la Nation.
« Ils ne vont pas nous faire croire que le directeur de cabinet a agi sans l’accord de son patron », rétorque un responsable de l’opposition. Dans les rangs du FCC, les avis sont partagés entre ceux qui se réjouissent de la « déchéance du traitre Kamerhe » qui a fait défection avant l’élection de 2011, et ceux qui redoutent aujourd’hui « une chasse aux sorcières ».
On réfute en tout cas tout accord entre l’ancien et le nouveau chef de l’Etat sur le sort du directeur de cabinet. Un proche de Félix Tshisekedi reconnaît l’impulsion du chef de l’Etat qui avait proposé un audit en Conseil des ministres, et l’implication du gouvernement, largement dominé par le FCC, qui avait recommandé une enquête judiciaire.
Reste qu’au sein de la communauté diplomatique, pourtant demandeuse d’efforts en termes de lutte contre la corruption, on s’interroge sur le timing de cette procédure – qui peut créer des tensions – en pleine crise de pandémie du coronavirus.
« Nous avions épinglé au moins plusieurs cas de manquements dans la gestion des finances publiques. Le directeur du cabinet du président de la République a été ordonnateur des dépenses dans le programme des 100 jours, il est le mieux placé à expliquer à la justice comment les choses se sont passées. »
La société civile se dit satisfaite, l’UDPS estime que c’est une affaire purement judiciaire
RFI / MCP
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