«Je suis là, pour déboulonner le système dictatorial qui était en place», avait déclaré Félix Tshisekedi le jeudi 4 avril 2019 à Washington, lors de la conférence au Conseil sur les Relations extérieures, atelier de réflexion sur la politique étrangère. Et d’ajouter : «Ma présence ici interpelle les Etats-Unis à nous accompagner dans cette belle aventure et le plus longtemps possible. Sans cet appui, nous aurons des difficultés à nous en sortir».

Plus d’une année après, la situation politique actuelle en RD Congo prouve à suffisance que Félix Tshisekedi est effectivement resté dans son dessein dévoilé depuis Washington, quelque trois mois seulement après son investiture, le 24 janvier 2019, à la tête de l’Etat congolais.

Premier épisode : Rupture de la coalition FCC-CACH en décembre 2020. Depuis, les deux anciens partenaires se sont résolument engagés dans une véritable épreuve de force, avec comme objectif le changement de la majorité à l’Assemblée nationale. Dès lors, tous les moyens qui lui permettraient d’atteindre cet idéal, semblaient être bons pour le Président Félix Tshisekedi !

Après le divorce d’avec le FCC, le bureau de l’Assemblée nationale dirigé par Jeanine Mabunda, tombe à la suite des motions individuelles contre les six membres, votées au cours d’une chaude plénière le 10 décembre 2020. Dans une Chambre basse très majoritairement FCC, avec plus de 300 députés nationaux sur les 500 qui composent la Représentation nationale, la déchéance de Jeanine Mabunda donnait ainsi les assurances du basculement effectif de la majorité. Et donc, un deuxième épisode qui se termine sur une victoire de Félix Tshisekedi.

L’Assemblée nationale étant la mandante du Chef du Gouvernement, le changement de la donne à l’hémicycle ne pouvait qu’emporter le Premier ministre. Sylvestre Ilunga Ilunkamba est déchu, le 27 janvier 2021 par 367 députés ayant voté pour sa motion de censure initiée par Chérubin Okenge, un ancien membre du FCC qui, par la suite, avait rejoint les rangs de «Ensemble pour la République», plateforme politique chère à Moïse Katumbi, gouverneur de l’ex-province cuprifère du Katanga et ancien membre de la famille politique de Joseph Kabila pendant la première législature (2006-2011).

Vu des analystes, la déchéance du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, est considéré non seulement comme deuxième chef de corps FCC vaincu, mais aussi et surtout, comme un troisième épisode de la bataille de Félix Tshisekedi contre son ancien allié et qui se solde par sa victoire. Mieux, une dernière séquence de l’opération de prise de contrôle de différentes institutions de pouvoir par le Président Félix Tshisekedi.

IL QUITTE LA TETE HAUTE, DIGNE ET CONSTANT

Cible de fortes pressions et des diatribes parfois assorties d’insultes à peine voilées des partisans du camp qui, sans cesse, le poussait à la démission, Sylvestre Ilunga Ilunkamba est resté imperturbable pendant plusieurs semaines. Il a donc attendu le moment opportun pour agir en âme et conscience. Et, c’est ce qu’il a finalement fait le vendredi 29 janvier, soit 48 heures après le vote de sa déchéance par la plénière de l’Assemblée nationale du Mercredi 27.

«Il faut savoir quitter la table quand elle est desservie», déclarait à la presse, l’ancien Premier ministre qui paraphrasait un chansonnier, au sortir de son audience le 29 janvier dernier avec le Président Félix Tshisekedi, à qui il remettait la démission de son Gouvernement. Dans cette même déclaration de 287 mots (y compris la ponctuation), Sylvestre Ilunga Ilunkamba ajoutait: «(…) Mais, je ne vais pas quitter la table desservie chez moi pour aller continuer chez le voisin».

Mais au-delà de la saga observée dans le camp de la nouvelle coalition estampillé Union sacrée de la nation, le comportement de Sylvestre Ilunga Ilunkamba lègue plusieurs leçons à la classe politique du pays. La première, est que le Premier ministre congolais quitte ses fonctions la tête bien haute, dans la loyauté, la constance et la légalité La loyauté, parce qu’il a vu des membres de sa famille politique, quitter celle-ci pour rejoindre le camp du pouvoir. C’est donc ça, le sens à donner à sa métaphore de la table desservie.

En acteur politique digne d’un homme d’Etat, Sylvestre Ilunga Ilunkamba a refusé de céder à la pression pour s’en remettre à son mandant, le FCC et son Autorité morale Joseph Kabila. Pourtant, il pouvait agir comme tous les autres membres de son Gouvernement qui ont quitté le FCC, dès lors qu’il avait pris conscience de l’état de leur table qui était desservie, pour aller à la mangeoire USN.

Dans un environnement politique où la loyauté a cessé d’être une valeur cardinale, comment ne pas encourager cet homme qui n’a pas quitté la table vide pour répondre à l’invitation du voisin dont la table est pleine de mets variés ? Surtout que sa place y était garantie.

On rappelle qu’un mois plus tôt avant le vote massif pour la déchéance du Premier ministre, les députés nationaux avaient massivement voté le budget présenté par le même chef de l’exécutif qu’ils ont désavoué. Si en démocratie, le vote d’un budget est l’expression d’appartenance ou d’adhésion d’une Assemblée nationale au Programme d’un Gouvernement, comment alors expliquer ce qui s’est passé le mercredi 27 janvier dernier à l’hémicycle, si ce n’est par la fameuse politique de la table bien garnie de mets alléchants qu’offre le voisin ?

CONSTANT DANS LA LEGALITE

La motion de censure contre Sylvestre Ilunga ilunkamba a été votée en son absence. L’opinion se rappelle que l’ancien Premier ministre avait refusé de se présenter devant les députés nationaux le jour du vote de la motion contre lui, au motif que le bureau d’âge de l’Assemblée nationale tenant office de bureau provisoire, n’avait pas la compétence légale d’examiner la motion de censure qui le visait.

Dans un communiqué de 125 mots, Sylvestre Ilunga Ilukamba a déclaré :«En date du 27 janvier 2021, l‘Assemblée nationale a adopté la motion de censure dirigée contre mon gouvernement. Tout en réaffirmant les observations que j’ai formulées sur la compétence du Bureau d’âge, en tant que républicain, respectueux de la Constitution et des Institutions de la République, je me dois de reconnaître la compétence de l’Assemblée nationale à examiner la motion de censure qui m’a été destinée dès lors qu’elle a été signée par 301 députés nationaux».

Et d’ajouter : «Etant donné que les Députés qui composent l’Assemblée nationale ont été élus lors des élections générales de 2018 et ont majoritairement voté le mercredi 27 janvier 2021 la motion de censure dirigée contre mon gouvernement, j’attends la notification de cette décision pour prendre mes responsabilités conformément à la Constitution », conclue le communiqué du premier ministre Ilunga Ilunkamba. Qui, pourtant, avait dénoncé une « manœuvre politicienne sans fondement factuel et au mépris des exigences de l’État de droit».

Ce communiqué qui avait force d’une correspondance implicitement adressée au président du Bureau d’âge de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso Nkodia Puanga, a effectivement produit les effets. Car, ce dernier a finalement notifié le Premier ministre, pour lui signifier la sentence de la plénière contre son Gouvernement. Dès lors, le Premier ministre avait 24 heures pour remettre la démission de son équipe au Président de la République, conformément aux prescrits de l’article 147 de la constitution. C’est ce qu’il a fait.

Vu sous cet angle, Sylvestre Ilunga Ilunga Ilunkamba est resté constant dans la légalité.

Grevisse KABREL
Forum des as

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