Tour à tour proche du pouvoir et opposant, l’ancien président de l’Assemblée nationale se dit prêt, aujourd’hui, à laisser le premier rôle à Moïse Katumbi lors de la prochaine présidentielle. Sans contrepartie ?

Il est plus de minuit, et Vital Kamerhe s’attarde dans un restaurant italien du centre-ville de Kinshasa. En ce mois de septembre 2016, l’opposant, chef de l’Union pour la nation congolaise (UNC), vient de tenter un énorme coup de poker en participant à des négociations avec le camp du président Joseph Kabila sous la médiation de l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo. Parmi les grandes figures de l’opposition dont Étienne Tshisekedi et Moïse Katumbi, il est le seul à faire ce choix hasardeux.

Le « kamerhéon »

Kamerhe le sait : il prend le risque de perdre la stature d’opposant qu’il s’est patiemment construite pendant sept ans. Mais cette nuit-là, il rêve grand. Il se voit bientôt nommé Premier ministre, à la tête d’un gouvernement de transition. Il veut donner à Kabila, qui s’accroche au pouvoir, « l’occasion de partir sans qu’un seul coup de feu soit tiré ». Certains de ses lieutenants le présentent même comme le dauphin que Kabila pourrait se choisir. « Ça passe ou ça casse », soupire l’intéressé.

Mais au réveil, les projections de « Vital » ressemblent à des chimères. Pour occuper la primature, Kabila lui préfère Samy Badibanga (depuis remplacé par Bruno Tshibala). Pis, le passage éphémère de son parti au gouvernement lui coûte cher. Il y perd une part de sa crédibilité d’opposant ainsi que son conseiller spécial et ami personnel, Pierre Kangudia, qui choisit de rester ministre du Budget plutôt que de retourner dans l’opposition.

Le cruel surnom dont on l’affuble revient de plus belle : le « kamerhéon », une créature mi-homme, mi-caméléon dont les prises de position s’adaptent à ses ambitions. Mais ce Shi de 59 ans né à Bukavu (Est) n’en a cure : « La politique n’est pas une ligne droite, clame-t‑il. Il faut être constant dans ses objectifs mais tenir compte de l’évolution du contexte. On ne peut rester figé. »

De Mobutu aux Kabila

Il est vrai que personne ne maîtrise l’art du rebond mieux que lui. Lorsqu’il entre pour la première fois dans un cabinet ministériel, c’est sous Mobutu, en 1989. Il a à peine 30 ans. Il en fréquentera douze jusqu’à la chute du dictateur, en 1997.

Puis il connaît une spectaculaire ascension auprès du tombeur de ce dernier, Laurent-Désiré Kabila, et de son fils. D’abord consultant auprès du Service national, structure paramilitaire « d’éducation, d’encadrement et de mobilisation » où sa verve fait merveille, il devient ensuite commissaire général adjoint du gouvernement, ministre, secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, au pouvoir), puis directeur de la campagne de Joseph Kabila en 2006…

À en croire Kamerhe, le président lui aurait même affirmé vouloir en faire son successeur lors d’un entretien au Palais de la nation, le 7 décembre 2006. Une confidence que confirment plusieurs caciques de la majorité. Kamerhe, lui, jure n’y avoir jamais cru : « C’était un piège. » Il se contentera de l’Assemblée nationale.

Mais, en 2009, il se permet de dénoncer l’entrée des troupes rwandaises sur le territoire congolais avec l’accord du pouvoir. Il est contraint de démissionner. « J’ai tout de même fait attendre Kabila cinquante-huit jours avant de rendre mon tablier », se félicite-t‑il. Mais « Kabila ne lui a jamais pardonné cette trahison », souffle un proche du chef de l’État.

Kamerhe arrivera tout de même troisième à la présidentielle de 2011, rassemblant 1,4 million de voix et raflant 18 sièges à l’issue des législatives. Cela lui permet de conserver un bon ancrage dans l’Est aujourd’hui. Malgré ses désillusions, il demeure convaincu que ses « potentialités » lui permettront de rebondir.

Il sait toutefois que la donne a changé. Il ne dispose plus des ressources financières suffisantes pour faire campagne dans un pays près de quatre-vingts fois plus grand que la Belgique. D’ailleurs, « pour faire fonctionner son parti, il a été obligé de vendre certaines de ses maisons et de ses vaches », confie Molendo Sakombi, l’un de ses conseillers et président fédéral de l’UNC à Kinshasa.

Resté longtemps loin de la gestion de l’État, il a également vu ses soutiens dans la sous-région s’effriter. Certaines de ses entrées dans les palais présidentiels se sont refermées. Brazzaville ne lui a par exemple pas pardonné d’avoir critiqué le pouvoir sur un plateau de télévision français en 2016. Fin décembre, le Guinéen Alpha Condé, alors président en exercice de l’Union africaine, l’a toutefois reçu dans un hôtel parisien.

Opération rédemption

Fin stratège, Kamerhe se lance désormais dans une opération rédemption. Objectif : reconquérir sa place au sein de l’opposition. Une acrobatie difficile qu’il parvient à réaliser avec tact, courage et surtout méthode. D’abord un coup de fil passé à son vieil ami Moïse Katumbi, transfuge du PPRD comme lui.

Depuis le décès d’Étienne Tshisekedi en février 2017, l’ex-gouverneur de la riche province du Katanga contraint à l’exil à Bruxelles fait figure de principal opposant à Kabila. Et Kamerhe peut se prévaloir d’avoir été l’un des rares, jadis, à avoir appuyé son investiture pour prendre la tête de ce puissant gouvernorat.

N’est-ce pas le moment de lui rendre la pareille ? « Katumbi a toujours prôné l’unité. Sa porte n’a donc jamais été fermée », souligne un proche de l’ex-gouverneur. Traduction : Kamerhe est de nouveau le bienvenu. En retour, Kamerhe semble, pour l’instant, avoir revu à la baisse ses ambitions. Briguer la magistrature suprême n’est plus, assure-t‑il, « une question de vie ou de mort ». Il ne voit donc plus d’un si mauvais œil la candidature annoncée de Katumbi à la présidentielle à venir. Les deux hommes échangent d’ailleurs régulièrement, en swahili, au téléphone.

L’ambitieux Kamerhe appelle même à l’unité de l’opposition : « Ce qui m’importe, ce n’est pas d’obtenir tel ou tel poste, mais de nous unir pour éradiquer la dictature. Sinon, nous tomberons dans le piège de Kabila. Il compte sur nos ego et se dit : “Félix [Tshisekedi, le fils d’Étienne] n’acceptera pas Vital pour chef ; Vital refusera que Moïse le devienne. Idem pour Jean-Pierre Bemba, en prison à La Haye.” Nous devons nous surpasser. »

En quête d’alliances

Pour y parvenir, Kamerhe propose, « le moment venu », une « mini-primaire dans un cercle restreint pour désigner le candidat unique de l’opposition ». Il plaide même pour la mise en place de regroupements électoraux entre l’UNC et les autres formations anti-Kabila, en vue des législatives et des provinciales. La dernière réforme électorale ayant imposé un « seuil de représentativité » qui contraint certains partis à se regrouper dans de grandes coalitions pour espérer obtenir des sièges.

Dans cette optique, les contacts avec le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Bemba avancent plutôt bien, de même qu’avec les plateformes soutenant la candidature de Moïse Katumbi à la présidentielle. Dans le camp de Félix Tshisekedi, en revanche, on accorde peu de crédit à la rédemption de Kamerhe.

« C’est une girouette. Sa seule obsession aujourd’hui c’est de devenir Premier ministre, et il est prêt à suivre quiconque lui garantit le poste », peste un cadre de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Le rapprochement Félix-Vital affiché ces dernières semaines ne serait donc que de façade. Ils ont beau se nommer bokunda en public (« beau-frère », en tshiluba, l’épouse de Félix étant originaire du Sud-Kivu comme Vital), « ils ont chacun leur agenda », reconnaît un proche de Kamerhe.

En attendant, lorsque ce passionné de football ne regarde pas les matchs de son club favori, le Real Madrid, il se retranche dans l’une de ses concessions de la N’Sele, dans la banlieue de Kinshasa, où il dit avoir aménagé, entre autres, « quatre étangs de 40 ha chacun pour élever des alevins ». Père de dix enfants la plupart vivent en Grèce, il a récemment refait sa vie avec Amida, l’ex-femme du chanteur de ndombolo JB M’Piana, ce qui suscite de nombreux commentaires.

Mais c’est toujours la politique qui le fait vibrer. Un long chapelet sur sa chemise d’un blanc immaculé, main dans la main avec les prêtres catholiques, il défie Kabila dans les rues de Kinshasa lors de chacune des marches des chrétiens qui, depuis fin 2017 et malgré une répression sanglante, exigent le respect de l’accord du 31 décembre 2016. Cela lui vaut un nouveau surnom : « Monseigneur Kamerhe ». Pour combien de temps ?

Jeune Afrique

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